Les pays signataires de la Convention Cadre sur les Changements Climatiques (CCNUCC) se sont donné pour objectif de limiter à 1,5°C l’augmentation de la température moyenne sur Terre à horizon 2100 par rapport aux niveaux pré-industriels. Pour y arriver, une réduction massive des émissions de gaz à effet de serre et une compensation des émissions restantes, par exemple par des actions de reforestation, sont les pistes privilégiées. Mais pendant ce temps-là, d’autres songent à modifier le « fonctionnement » du climat de la Terre en modifiant ses mécanismes : c’est ce qu’on appelle la géo-ingénierie. Gros plan sur 5 exemples de cette approche controversée…
Un détour par la planète Mars
Total Recall ! Vous vous souvenez ? 1990, film du hollandais Paul Verhoeven, inspiré d’une nouvelle de Philip K. Dick, avec Arnold Schwarzenegger et Sharon Stone. Le scénario nous transporte vers une époque où l’homme a installé une colonie de peuplement sous une bulle implantée sur la surface de la planète Mars . Son administrateur tyrannique Cohaagen y exploite des mines pour en extraire une matière première appelée le turbinium. Il a également pouvoir de vie et de mort sur la population en lui coupant, quand il le décide, la distribution d’oxygène. Mais,vous l’aurez deviné, Arnold Schwarzenegger se mêle de cette histoire très mal engagée avec son énergie renouvelable habituelle et finit par activer le réacteur au turbinium construit dans le sous-sol martien, ce qui aura pour effet de faire fondre toute la glace martienne et de créer sur Mars une atmosphère qui permettra à toute la population de respirer et de vivre libre.
Terraformation et géo-ingénierie sont sur un bateau
Transformer le climat d’une planète pour la rendre compatible avec la vie humaine, c’est ce qu’on appelle la terraformation ou terraforming. Alors, me direz-vous, quel rapport avec le changement climatique ? C’est très simple : les gaz à effet de serre émis par l’homme depuis la révolution industrielle menacent de changer le climat de la Terre de manière irréversible.
Dès lors, certains observateurs estiment que nous pourrions pour ainsi dire terraformer… la Terre ou du moins cette nouvelle Terre au climat dégradé. D’ailleurs, pourquoi attendre ? Pourquoi ne pas agir dès aujourd’hui sur le climat de la Terre pour la « remettre dans le droit chemin » par différentes technologies appartenant à cette discipline qui se nomme la géo-ingénierie ?
De la poudre dans les océans
Premier acte, disperser de la poudre de sulfate de fer à la surface des mers et des océans, (OIF : ocean iron fertilization) comme dans le projet de la fondation Oceaneos. En effet, le phytoplancton des océans absorbe déjà le CO₂ de l’air pour le transformer en oxygène mais ce processus est moins efficace dans l’Atlantique Sud, précisément par manque de fer. Cette « fertilisation » utilisant du fer peut donc en théorie accroître l’efficacité de l’absorption du CO₂ par les océans et participer à la compensation des émissions de CO₂. Elle présente cependant des risques importants comme la surmortalité du phytoplancton et la pollution du fond des océans sans compter que son efficacité est considérée comme assez faible.
Du sable sur la glace
Autre approche, l’organisation à but non lucratif Ice 911, créée en 2008, a pour projet de disperser des microbilles de sable sur la glace du pôle Nord pour augmenter son pouvoir réfléchissant et diminuer la quantité de rayonnement solaire faisant fondre la glace. Après des essais en laboratoire puis sur des lacs, Ice 911 a testé en Alaska, au nord du cercle polaire arctique, en 2017 et 2018, son système de dispersion automatique des microbilles de sable. Malgré les assurances de ses promoteurs, les effets négatifs d’une telle action sur l’écosystème sont soulignés par certains chercheurs.
Du sel dans les nuages
Quittons la surface de la Terre avec la 3e technique qui consisterait à blanchir les nuages marins (marine cloud brightening) en y injectant du sel marin par une flotte de navires, ce qui augmenterait le pouvoir réfléchissant des nuages et limiterait la part du rayonnement solaire qui atteindrait la Terre. Une forte interrogation tout de même : si on modifie les nuages d’une région, on ignore quels seront les effets sur une région voisine.
Des aérosols dans la stratosphère
Pour comprendre la 4e piste, il suffit de se rappeler l’éruption du volcan Pinatubo aux Philippines en juin 1991 lors de laquelle un panache contenant de fortes quantités de dioxyde de soufre s’est élevé à plus de 20 km. Les particules restèrent dans la stratosphère plusieurs années et l’année qui suivit fut marquée par un refroidissement de plusieurs dixièmes de degrés. En observant ce phénomène, des scientifiques, parmi lesquels le néerlandais Paul Crutzen, prix Nobel de chimie 1995, ont eu l’idée de pulvériser dans la stratosphère, à environ 10 km d’altitude, des aérosols contenant du soufre. Les modèles climatiques développés sur ce thème estiment qu’en réalisant l’opération au niveau des tropiques depuis un seul point d’injection, la plus grande partie de la surface terrestre serait couverte mais il est bien sûr difficile d’être sûr du déroulement réel d’une telle opération.
Capter le CO₂
Plus terre à terre, des scientifiques comme le professeur Klaus Lackner (Arizona State University) ont imaginé des systèmes comparables à des « arbres artificiels » qui retireraient de l’atmosphère le CO₂ rejeté par les activités humaines, jouant ainsi le même rôle que les arbres mais en visant une efficacité supérieure.
Dans le même esprit, la société suisse Climeworks, créée en 2009, a développé un procédé qui filtre l’air ambiant, en retient le CO₂ et libère donc de l’air dépourvu de CO₂. Les différents sites de la société revendent le CO₂ pour différents marchés : croissance des fruits et légumes, productions de boissons gazeuses, secteur des énergies renouvelables, …
Géo-ingénierie : pour ou contre ?
Une chose est sûre : la géo-ingénierie ne laisse pas indifférent. Pour certains, elle est à éviter absolument car elle consiste à « jouer » avec le climat de la Terre sans connaître précisément les conséquences de ses actions et elle conduit à oublier les « vrais » moyens de lutter contre le changement climatique. Pour d’autres, l’ « objectif 1,5°C » sera tellement difficile à atteindre qu’il ne faut pas renoncer à mieux connaître les possibilités de la géo-ingénierie qui, un jour, pourrait nous être utile. D’ailleurs, dans son rapport spécial du 8 octobre 2018, le GIEC n’a-t-il pas, pour la première fois, inclus la géo-ingénierie dans ses scénarios de baisse des émissions ? Affaire à suivre…